Rêve ou cauchemar ... du 2/3 août 2010
Etait-ce dans une ville, ou même, ailleurs, j'étais dans une grande bâtisse, ancienne, très ancienne, un havre de paix, un de ceux où
les hommes viennent se ressourcer, se réfugier, et ce depuis la nuit des temps. J'étais dans un lieu où les hommes aiment à se réunir, et là ils venaient pour parler de l'Ordre.
Car ce havre était l'abbaye de l'Ordre.
L'époque était paisible, beaucoup préféraient demeurer en famille plutot que de suivre la réunion mensuelle. La saison était belle, la
campagne accueillante.
Pourtant c'était bien le jour de la réunion mensuelle des frères d'armes, de l'Ordre. Ce jour là donc, peu de responsables réunis, mais
certains venaient pour goûter un peu de tranquillité et le breuvage local.
De petits groupes étaient disséminés par ci par là, qui dans la bibliothèque, qui près du potager, qui sous l'ombrelle de glycine de la
terrasse. Gabriel et moi étions comme d'habitude dans une toute petite pièce non loin de l'entrée, près d'un étroit couloir menant aux cuisines. Cet endroit méritait plus le nom de "recoin" que
de "pièce", et c'est peut-être ce qui me sauva. Avec sa forme de Z, l'on apercevait juste un petit morceau de l'entrée de l'abbaye, carrée avec son enfilade de patères. Gabriel et
moi étions bien en retrait, on aimait ce coin intime qui nous permettait de boire tranquilement un café en échangeant des nouvelles, en riant de nos déboires et du temps qui
passe. L'heure de la réunion approchait, une réunion probablement bien calme, voire ennuyeuse, le frère responsable conclurait son discours par la phrase habituelle
: "aucune nouvelle alarmante, aucune manifestation de la "menace", aucun soupçon ou lieu d'inquiétude n'a été relevé par nos frères des zones, vous pouvez rentrer chez vous en paix."
Voilà ce qui était prévisible, mais il n'en fût rien.
Ce jour là fût le début d'une longue débâcle, d'une fuite sans fin, d'un drame pour la pays, d'une menace planétaire.
La minute d'avant, il y eut un profond silence, nous mêmes avec Gabriel étions silencieux, après ce silence un vacarme
assourdissant, un bruit de porte et de murs abattus, et cette vision horrible, un monstre, énorme, se précipitant vers la cour d'honneur.
Nous étions paralysés, figés par la frayeur, le souffle coupé, nous savions tout à fait ce qui était en train de se passer,
et qui était ce monstre.
Mon sang se glaçait, mon cerveau refusait de prononcer le nom, son nom.
La vie basculait dans le néant, le tant redouté était arrivé.
Soudain je réalisais que c'était trop rapide, personne n'était prêt ! Pourquoi n'y avait-il pas eu de signes avant-gardistes ? des
signaux d'alarme ? Certes la menace existait, et on le savait bien car c'était la raison d'existence de l'Ordre, mais comment ... Lui, lui était il arrivé jusqu'ici ?
S'ensuivirent des hurlements, des fracas d'éboulements. Gabriel fit quelques pas vers l'entrée, il empoigna son manteau comme un
automate, sans dire un mot, sans croisé mon regard. Je restais debout dans mon coin. Soudain j'aperçus, Gabriel happé par un genre de main dégoulinant de chair, et soulevé de terre. La suite
je ne la vis pas, je pris la fuite, terrorisée, me dirigeant vers les cuisines, dans un sprint éperdu, sans reprendre mon souffle. J'empruntais sans même y réfléchir, le passage secret situé au
fond des cuisines. Toujours courant, après pas moins d'un bon kilomètre, je me retrouvais enfin de l'autre côté. Néanmoins sans avoir l'impression d'être en sécurité. Je savais que ma
destinée s'accomplissait ce jour là. Je savais que j'avais la mort aux trousses. J'arrivais enfin chez moi. Un vide immense m'envahissait. Je me changeais et brûlais mes vêtements
portés et ceux dans la corbeille à linge sale. J'emportais seulement mes papiers officiels et ma carte bancaire, mais aussi quelques affaires propres et trois souvenirs. Les papiers me
seraient utiles dans un premier temps, puis je les jetterai, et changerai d'identité. Il fallait que je disparaisse, ma vie était en jeu, car je serai sûrement poursuivie par ce monstre,
pistée comme l'on piste un animal sauvage, ceci j'en avais l'intime conviction. Surtout, surtout après l'histoire du ruban. Ce ruban ... ...
C'était un morceau de tissus apparu mystérieusement à l'abbaye moins d'une heure auparavant, alors que je discutais avec Gabriel.
Justement nous parlions de Lui, de cette chose abominable, nous en parlions en plaisantant, et je ne sais qui alors, a proposé, à la vue de ce ruban trouvé par hasard dans ma poche, de fabriquer
avec ce tissu un genre de collier magique, qui pourrait étouffer ce monstre au cas ou il se pointerait. C'était un simple ruban de soie, d'environ trente centimètres de longueur et cinq
centimètre de largeur. Rien de spécial, rien d'extraordinaire semblait-il, si ce n'était peut-être sa brillance et son origine mystérieuse. Je finis par le remettre dans ma poche
machinalement.
Je tâtais le ruban, il était toujours au fond de ma poche. Je pensais à Gabriel, j'espérais que son âme soit en repos, et je
m'effondrais en pleur. Soudain j'étais exténuée. Avec Gabriel nous avions vécu ensemble nos années d'adolescence, rebelles, puis nous étions restés en contact pendant nos études
supérieures, malgré la distance qui nous séparait. Avec surprise, nous nous étions retrouvés comme membres, frères de l'Ordre, des années plus tard.
Je n'avais pas pu faire un seul geste pour le sauver. Mais qu'aurai-je bien pu faire ? Je le ferai ce cordon, ce collier ! Pour
Gabriel, et pour tous ceux qui n'ont pu se battre ! Je me battrai pour eux et j'accomplirai ce qui doit l'être !
Mais en attendant ... Rester en vie s'impose.
Je quittais mon appartement sans avoir conscience que je tirais un trait sur mon passé, sur une vie paisible et heureuse.
J'avais la certitude de l'action juste, il fallait partir, mais la peur de l'inconnu me tiraillait le ventre. La population
semblait encore sereine par là, j'en profitais pour prendre les transports en commun et à la gare le premier train en partance pour une grande ville.
En arrivant le jour déclinait, je m'empressais de retirer un maximum de liquidités bancaires. Puis première nuit à coucher
dehors, une nuit blanche.
Au matin, n'y tenant plus, j'entrais dans un hôtel et m'offrais une bonne douche, un bon repas et une sieste. Ensuite pendant
que la radio et la télévision annonçaient des mesures de sécurité, je courus chez un coiffeur pour me couper les cheveux à la garçonne. J'achetais une tondeuse électrique, un chapeau,
des lunettes. Puis de nouveau une gare, un train, une autre ville. Je jetais alors mes papiers et tout ce qui me rattachait au passé. Je pris le train pour Paris et me noyais dans l'anonymat des
"sans-papiers". J'y restais pendant quelques mois, le temps que ma frayeur s'atténue. Désormais, les médias pouvant communiquer, donnaient des informations de fin du monde, des villages entiers,
des villes étaient dévastées, le monstre avançait tel une épidémie, tel un cyclone, on ne comptait plus les morts. Aucune force n'était capable d'arrêter ce monstre. On envisageait de
balancer une bombe nucléaire, c'est à dire de rayer la France de la carte ! Parfois il me semblait que "la chose" me suivait, en entendant parler de ses ravages, il me semblait que les
ruines traçaient un chemin vers moi. Etait-ce coïncidence ?
Souvent l'envie me prenait de sortir de l'anonymat. D'obtenir des réponses à mes questions brûlantes : étais-je le seul frère
de l'Ordre ayant survécu ce jour là ? Pourquoi ne parlait-on jamais d'eux ? L'Ordre existait-il encore ?
Ce ruban était-il mentionné dans les livres anciens ? Si oui, comment l'utiliser ? Quand ? La frayeur m'avait quitté, mais
parfois la nuit, l'angoisse s'installait. Dans ces moments là je cherchais le ruban et le serrais sur mon coeur. Les jours passaient vite, on m'avait proposé de faux papiers d'identité et j'avais
déjà franchi les frontières plusieurs fois. Je ne restais jamais bien longtemps au même endroit. Je prenais de l'assurance dans
cette vie d'errance.
Par un beau jour d'été je me trouvais en montagne, dans un gîte d'étape qui me fournissait travail, logement et nourriture. Je
venais de finir de confectionner le ruban-collier. Etrangement il était toujours propre, bien que manipulé avec des mains ou en des lieux plus ou moins nets. C'est alors que je me sentis tout à
fait en accord avec la plénitude du lieu, de ses sommets de pureté, j'avais atteint mon sommet à moi, l'alliance de la force et de la sérénité. Il était temps d'affronter la mort, d'honorer la
mémoire de Gabriel et de tant d'autres, de libérer le pays, de venger les disparus.
Il me fallut quelques mois pour retourner vers la ville de l'abbaye de l'Ordre.
Tout avait bien changé, la ville n'était plus que ruines. De petits groupes regroupant des civils et des militaires, tentaient de
former de nouvelles familles, ils erraient un peu comme des fantômes. Je passais parmi eux, sans rencontrer de connaissances, puis me dirigeais d'un pas ferme vers mon destin.
L'abbaye était déserte. Elle avait perdu sa toiture et bien des murs s'étaient écroulés. J'entrais dans la cour d'honneur, le lieu
symbolique entre tous. Pendant tout ce temps d'errance j'avais appris à surmonter la peur, à contrôler mes doutes, mais je ne pus empêcher la tristesse de m'envahir, ainsi que le sentiment de
manque en pensant à Gabriel.
Je pris une profonde inspiration, rejetais les émotions en expirant fortement. Au centre de la cour je levais les bras, inspirant
encore profondément j'appelais les forces de la vie, demandant aux forces de l'Ordre de m'investir, demandant de consacrer ce sol, de soutenir mon bras. Je formulais l'investiture de l'accord à
la vibration universelle, nommée "magie", selon les codes de l'Ordre.
Ensuite un grand bien-être m'envahit, un grand calme se produisit, aucun son, aucun bruit, l'espace resplendissait d'une clarté
nouvelle. Le temps semblait suspendu.
Sans un bruit, il apparut, là devant moi. Laid, comme l'âme la plus noire, sa chair dégageait la même puanteur qu'autrefois. Cette
odeur me ramena dans le passé, j'oubliais toutes les années d'errance, nous étions peut-être dans une autre dimension spatiaux-temporelle. Je n'eus pas le temps d'une seule pensée que je me
retrouvais dans un enfer de flammes, vivante encore car protégée dans une bulle d'eau et d'air. Ensuite je fus terrassée, écrasée sans avoir pu me défendre. Alors pour m'achever, brandissant son
poing, il s'inclina, se recroquevilla, mais curieusement il vacilla, comme si on l'attaquait de dos. Cette seconde de répit me suffit et dans un geste automatique je sortis le ruban et le lançais
sur sa tête. Le ruban parut s'animer, il s'enfila aussitôt jusqu'au cou du monstre et en un éclair il accompli son devoir, se réduisit tant et si bien qu'il coupa la tête horrible.
Le monstre s'écroula, mort.
Je me suis réveillée à ce moment là, bouleversée, le coeur battant la chamade. Desuite j'ai pensé qu'il fallait écrire ce rêve, ce
récit fantastique digne d'un jeu de rôle en ligne célèbre !